~~ Sylvie : Voici le récit de Philippe, très frustré de son grave oubli de contrôle du verrouillage de la verrière du cockpit avant tout décollage :
~Philippe : 22 avril 2015, vers 15 H 30: décollage de l'aérodrome de Persan-Beaumont (LFPA), dans le 95, là où est basé mon appareil. Météo excellente, beaucoup de soleil, roulage sur les taxiways avec la verrière du cockpit entr'ouverte, pour la première fois de cette année.
Décollage de la piste en herbe dénommée "10",(donc au cap 100°), vent régulier plein travers de la gauche, de 40 km/H environ. Moteur à pleine puissance, au décollage ; immédiatement, à peine l'avion vient-il de quitter le sol, la verrière du cockpit s'entr'ouvre brutalement. Avec ma main gauche, je la retiens, poursuivant ma montée, manche ( central) de l'avion dans ma main droite. Il s'avère immédiatement qu'avec ma main gauche, et alors que la vitesse de l'avion croit, l'effort musculaire devient énorme. Les volets ont été légèrement sortis,( 15° sur le Lynx), en position normale pour un décollage sans vent de face, température sol un peu élevée, mais piste longue).
L'avion est soumis à un couple piqueur de plus en plus élevé, et c'est aussi un effort de plus en plus important qui est nécessaire au manche, tenu dans ma main droite ; mes 2 mains sont très occupées, et les 2 bras soumis à rude épreuve physique. La vitesse croit malgré la montée de l'avion, je la stabilise vers 135 km/heure, dans un premier temps. Essayer de refermer et verrouiller complètement la verrière, avec la main gauche, et tout en maintenant ainsi, la verrouiller avec la main droite, s'avère impossible : car lâcher le manche tenu avec force par cette main amène immédiatement l'avion en piqué, et la verrière ne peut en fait être maintenue fermée. (plusieurs témoins du décollage diront que celle-ci semblait ouverte de quelques centimètres à une quinzaine de centimètres.) A environ 200 mètres de hauteur /sol, (il est dans cette zone inévitable interdit de monter plus haut, sauf autorisation de la base militaire de CREIL : risque d'interception d'autres aéronefs; ma radio est sur la fréquence de Persan-Beaumont...impossible d'en changer, j'ai les 2 mains prises), mise en palier, et exécution d'un tour de piste préparatoire à l'atterrissage, tout en cherchant à manoeuvrer la manette des gaz, pour réduire la puissance du moteur et le régime de l'hélice; la vitesse de l'avion /air se stabilise à environ 185 Km / heure...la réduction de puissance ne peut se faire, à priori, qu'avec la main gauche, compte-tenu de la place de la manette des gaz...et alors que l'effort musculaire pour tenir à peu près fermée la verrière est déjà devenu très important. Mais chercher à monter encore pour ralentir la machine, avec l'objectif de lâcher la verrière, m'apparait suicidaire : dès 2001, je m'étais rendu compte que les verrières à ouverture verticale et vers l'avant permettaient une évacuation facile de l'avion en vol, si le pilote devait se transformer en parachutiste...sachant que je souhaitais déjà pouvoir faire certains essais en vol avec le parachute individuel, au cas où ! Depuis, j'avais remarqué, moteur à haut régime, avion immobilisé au sol, que la verrière se relevait alors d'elle-même, malgré son propre poids et la petite force d'ouverture du vérin pneumatique fait pour faciliter l'ouverture de cette verrière, relativement lourde, avion au sol. Donc, je ne dois absolument pas relâcher mon effort de retenue de la verrière, par ma main gauche : celle-ci s'ouvrirait extrêmement brutalement, s'arracherait probablement et risquerait d'aller frapper l'empennage rendant l'avion définitivement non pilotable, tandis qu'il piquerait "à mort" du fait de son inévitable et fort brutal freinage aérodynamique : j'abandonne l'idée. (cette hypothèse sera vérifiée par le calcul, dans les jours suivants, et largement confirmée).
~~Tout en vérifiant fréquemment tous les paramètres moteurs, affichés en permanence par mes traditionnels appareils analogiques "à l'ancienne", (risque de surchauffe rapide du moteur à plein régime, par temps chaud; le moteur rotatif est peu sujet au "serrage", certes...; en fait aucune pression ou température à surveiller ne posera problème), et en tentant de ne pas modifier mon effort de retenue de la verrière, je lâche les palonniers, (aux pieds), malgré le vent de travers ; et avec le genou gauche, j'essaie de pousser en arrière le levier de commande des gaz.
Impossible, et j' "efface" la piste en herbe 10 sur laquelle je voulais me re-poser. Nouveau tour de piste, lui aussi à environ 200 mètres/sol, et je sais que, compte tenu de l'épuisement physique de mes 2 bras, c'est, au mieux (?)... le tour de la dernière chance. En vent arrière un peu allongé, c'est avec le talon de ma jambe gauche qu'il apparait possible de réduire les gaz, mais...probablement très maladroitement. Première réduction, passage en étape de base.
L'atterrissage sera nécessairement "maladroit" : décision de me poser dans un champ presque dans l'axe de la piste 10 en herbe, car ce champ, lisse, (le maïs n'est pas encore levé, dans ce champ "roulé"), est immense et qu'aucune végétation n'y apparait. Le temps est très sec et chaud depuis plus d'une semaine; hier je passais la tondeuse à gazon chez moi, à 10 km de là, en soulevant un nuage de poussière...la terre nue et sèche du vaste champ permettra peut-être un bon roulage...Maintenant dernier virage et courte finale; l'atterrissage est en effet maladroit et imprécis, car la seconde réduction des gaz "au talon", avec la jambe gauche hors du palonnier malgré le vent plein travers, est brutale et insuffisante, et elle a des conséquences sur le contrôle du cap de l'avion. En fait, après l'alerte sonore de l'indicateur de décrochage, je réduits la distance du point de touché; et me pose "au second régime", (avion sustenté en partie par son hélice), avion au ras du sol mais nez de l'avion très en l'air, avec sortie complète et volontairement très brutale des volets électriques,( commandés, fort heureusement, depuis le manche... la modification a été achevée il y a 2 jours ! ).
Après une sorte de figure du "cobra" au ras du sol, l'avion retombe en abaissant le nez, et se pose dans un petit champ de blé vert, hauteur 50 cm environ, terre ici faite de grosses mottes avec des sillons profonds...ce que nous constaterons après. L'atterrissage est extraordinairement doux pour le pilote, car l'avion touche le sol à peu près horizontalement, sur son train principal, celui-ci ayant une "course verticale" de plus de 600mm (par conception du "Lynx"...et c'est très heureux en un tel cas ! )
Puis le train cède partiellement : la roulette avant se replie d'abord, l'avion pique du nez et l'hélice tripales en carbone disparait; puis le demi-train principal gauche cède, avant l'immobilisation de l'avion, qui tourne sur place et à gauche, presque doucement, d'environ 150°.
Reste à couper l'essence et l'électricité de bord, après un message radio, et à attendre les secours; qui parviennent dans les quelques minutes qui suivent : pompiers avec ambulance, gendarmes, gestionnaire de jour de l'aérodrome de Persan-Beaumont (géré par ADP) ; puis la gendarmerie de l'air : 46 m de roulage-glissade pour l'atterrissage... prêt pour appontage sur porte-avion...euh... !
Les constats d'usage sont faits par les autorités citées, je suis totalement indemne, non choqué ni émotionné, avec un degré alcoolique sanguin constaté au souffle de 0 gramme/litre. Le médecin décide inutile l'hospitalisation. Tous les documents souhaités par les gendarmes de l'air leur sont présentés, sont jugés en règle, et photographiés par ceux-ci: qui réalisent aussi quelques photos de l'avion "crashé" et du site; ainsi que des photos de l'intérieur, en particulier du tableau de bord et des différentes commandes y compris du verrouillage de la verrière.
~~CONSEQUENCES:
~~: 1/ avion endommagé, avec comme signes "évidents" :
~ - les 3 pales de l'hélice sont devenues inexistantes, le cône et l'assiette de celle-ci, explosé pour le premier et faussée pour la seconde : tous sous-ensembles à remplacer.
- moteur et son réducteur à dégrouper et contrôler.
- capot inférieur du moteur, en carbone, endommagé: à réparer et repeindre.
- échappement du moteur très déformé, écrasé, à remplacer. - 1 sonde EGT à remplacer (câble électrique arraché).
- train d'atterrissage rétractable électriquement, faussé, avec des biellettes internes tordues ou criquées, pièces à reconstruire et remplacer.
- mécanismes de sortie et rentrée du train, électrique et manuel (de secours), à reconstruire et remplacer.
- dessous du fuselage de l'avion "marqué" : à repeindre.
- logement du train, sur chaque aile, à contrôler.
- extrémité de l'aile gauche, en bois et composite (saumon d'aile): fissurée, avec l'anneau d'amarrage de l'avion au sol, brisé et à remplacer.
- sans oublier: ajout d'un micro-contact de commande d'extinction d'une diode rouge et d'allumage d'une diode verte, à placer au tableau de bord : indicatrices du bon verrouillage de la verrière du cockpit.(... ! )
2/ cultures :
Ni le propriétaire du champ de blé, ni celui du champ de maïs ne demanderont de dédommagement. (la pluie, quelques jours, après favorisera la repousse du blé couché, et la pousse régulière des jeunes pieds de maïs)
~ Sylvie : Quelle leçon pour toi, le concepteur, constructeur et pilote du "Lynx", soit 17 000 heures de travail personnel depuis 2001, et 108 heures d'essais en vol ?
Philippe : Un petit oubli, (l'exigence de recontrôle du verrouillage de la verrière est bien sur la check-list...mais après l'alignement de l'avion juste avant le décollage, il faut faire vite pour libérer la piste, et je termine sans l'avoir à la main: grosse erreur !), peut avoir des conséquences vitales. Cet exemple illustre malheureusement bien ce fait. Si j'avais eu un passager, il n'y aurait pas eu de problème, mais...on n'a pas toujours un passager ! L'aviation requiert de ses intervenants une rigueur et une vigilance de tous et de tous les instants. Pourtant, le pilote, comme le mécanicien par exemple, n' "est qu'un homme" ! Qu'en sera-t-il demain, si la machine devenue intelligente devient sensée être incapable de commettre des erreurs, ou d'oublier? et doit être capable d'auto-corrections rapides ou assistées à distance en cas de situation totalement inusuelles, et même imprévues ? Sans doute cette vraie question ne se pose vraiment que pour l'aviation militaire, l'aviation d'affaire et l'aviation commerciale, je suppose; et pas pour l'aviation de loisir? Pas si sûr, au fond...on peut aimer voler sans piloter...
Sylvie : Quels sont tes doutes, après cet accident ? Quel conseil donner, peut-être, aux pilotes de ce genre de machines ?
Philippe : Il ne faut pas se fier à une trompeuse intuition aérodynamique : les verrières courtes à relevage vers l'avant, qui équipent bon nombre d'avions modernes biplaces côte à côte à ailes basses, et d'ULM, présentent le danger que j'ai rencontré. Il est facile de vérifier si ce risque existe, en retenant la verrière, moteur à fond, freins serrés pour la sécurité, pilote en place évidemment. Sur internet, nous avons pu constater que nombreux étaient les pilotes de ce genre de machines, qui n'ont pas eu la chance de pouvoir raconter leur aventure... Heureusement, la verrière commence à vibrer avant de se libérer, alors que le roulage est encore lent...ou bien qu'il est facile, pour le passager, de la verrouiller ! (je n'ai pas eu cette chance, probablement parce que le vent de travers au décollage poussait la verrière sur la droite, et augmentait ainsi les frottements de celle-ci, retardant sa libération vers le haut).
Maintenant en ce qui me concerne : ai-je encore suffisamment de rapidité intellectuelle ? et de concentration permanente ? et de réflexes rapides ? etc...pour bien piloter ?
Ensuite: j'ai été frappé, dès après l'atterrissage et donc totalement indemne et "sain d'esprit", de n'avoir pensé à absolument personne, ni proche ni amie, pendant mes 7 minutes...de totale solitude. Pas une pensée, y compris pour ceux que j'aime plus que tout... Mon devoir était d'abord d'éviter de blesser qui que ce soit au sol, et aussi en vol, et cela ne pouvait se faire que par une réflexion et des décisions et actes personnels, certes. Je me suis tout de même souvenu d'une affirmation qui me fut oh combien utile, d'un camarade pilote d'essai de métier, qui m'avait dit un jour : en cas de problème, si tu peux tangenter et te frotter à la planète sans heurt, à priori, ni danger pour autrui, choisis cette solution ! l'avion, on s'en fout !
L'envie de voler reste un vrai besoin, qui a traversé mon existence... je vole comme pilote depuis l'âge de 19 ans...mon premier vol comme pilote breveté, (avion et planeur), c'était il y a 56 ans !
Sylvie : le Lynx est-il réparable ?
Philippe : La structure de l'avion, cellule, bâti moteur, longerons des ailes et empennage, n'ont pas été du tout touchés. Il faudrait environ 500 heures de travail pour contrôler, refabriquer certaines pièces mécaniques étudiées spécialement pour le Lynx, remonter, tester, remettre au point l'avion.
Sylvie : As-tu revolé, comme pilote ?
Philippe : Oui, sans appréhension; mais pourtant pas avec l'esprit tout à fait détendu, tranquille, libéré...?
Sylvie : Vas-tu réparer le Lynx ?
Philippe : j'ai racheté presque symboliquement l'épave" à l'assureur qui m'a dédommagé. Car mes camarades m'invitent à réparer ce bel avion, aussi original...et à poursuivre mes travaux sur le moteur rotatif. Un homme de 82 ans s'est proposé pour m'aider, cet hiver, lui était pilote-instructeur. Il faudrait encore 2 ou 3 personnes, connaissant bien le travail du bois, et celui des composites, en aéronautique; et si possible un peintre en aéronautique.
De plus, je voudrais intéresser quelques jeunes, et ça, j'y tiens ! Pas pour le travail à fournir, mais pour leur montrer ce qu'est l'aviation et ce que sont ses exigences. Que les uns et les autres se manifestent en utilisant ce blog, merci très vivement par avance.
Une réunion sera organisée dès que possible, en septembre au plus tard. Je voudrais en fait que ceux qui le souhaiteraient, jeunes et anciens, puissent ensuite disposer du Lynx dans les meilleures conditions !